Regards croisés avec Célia Augé

    «Je dois aller au bout des choses, non sans difficulté car c’est un combat quotidien»

    Résilience. Ou comment rebondir ?

    A chaque fois, Célia a dû se dire « Alllllez hop, on se relève ! » Elle a appris à remonter à la surface, à se battre d’abord contre son cancer, puis contre le lymphœdème, parfois aussi contre elle-même. Aujourd’hui encore, il lui est difficile de trouver les mots justes, de trouver l’équilibre. Technicienne de laboratoire dans un centre de lutte contre le cancer, la jeune femme de 35 ans arrive au fil de la discussion à verbaliser cette double peine qu’elle a vécue dès ses 14 ans. Elle nous explique ici comment elle s’est réappropriée sa vie au fil des années. Comment, après le cancer, puis le lymphœdème, blessée par deux fois dans sa chair et son âme, elle a dû reconstruire sa vie de femme.

    Avec le lymphœdème je me bats contre moi-même pour accepter que, cette fois-ci, ça va être différent. Chaque combat est différent. Mais toute seule je n’aurais pas pu le faire. J’ai toujours été entourée. Ado, par ma maman, mon binôme, présente au quotidien à l’hôpital lors de mes traitements, mon père, ma famille composée de ma sœur et mon frère aînés et de ma petite sœur Sophie âgée seulement de 4 ans à l’époque. Tous ont été impactés par mon cancer. Très présents, ils ont été bouleversés par ce que j’ai dû vivre.

    Aujourd’hui, j’ai aussi mon mari Stéphane sur qui je peux compter au quotidien. On s’est rencontrés lorsque j’avais 22 ans, bien après le cancer. Il connaissait mon bagage. Il a été là pour le deuxième coup dur. Aujourd’hui encore, je ne vais pas forcément bien tous les jours. Donner du sens à ma vie m’a aidé oui, mais en toute honnêteté ça dépend quand même des jours. Heureusement qu’il y a des forces qui me servent de moteur, raconte d’emblée Célia. J’habite près de Caen, en Normandie. A la campagne avec mes animaux, mon chien Orion et mon chat Yué. J’ai 35 ans. Mes 14 ans sont loin…

    Le combat que j’ai mené alors a inéluctablement changé ma vie.

    A 14 ans, j’ai eu un rhabdomyosarcome. C’était un cancer avancé, très agressif. Il a été diagnostiqué en 2003. Le traitement a duré un an et demi de traitement à fond. Il a été long et difficile. Et au bout, la rémission. Première victoire. Une période de grand calme. La maladie m’a laissé tranquille. Elle m’a accordé, sans m’en informer, une pause. A 15 ans et demi, post-traitement de cancer, j’étais à la fois jeune et déjà mature. Je venais de passer une grosse étape. Je me disais “bon ça y est, je m’en suis sortie, voilà maintenant je peux vivre“. Et puis en 2017, bam, le lymphœdème. La double peine. Douloureux retour à une réalité pas drôle. Quand le lymphœdème est survenu, tout est revenu en bloc. Ce cancer que j’ai dû gérer, vivre, combattre. Une autre tuile m’arrive. Et je vais devoir faire avec. Le cancer a été dur mais j’ai pu le combattre à fond. Le lymphœdème, c’est presque plus difficile car on ne peut pas le combattre, on ne peut pas l’annihiler complètement. C’est une autre dimension à affronter. Contre le cancer, j’ai pu me dire : “J’ai réussi ! J’ai vaincu !“ Mais, là, avec ce que j’ai aux jambes, j’ai beau me dire que je prends les armes, je sais pertinemment que je vais devoir faire avec tout le reste de ma vie.

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    Mon chien Orion et mon chat Yué, eux aussi me donnent plein de courage
    Mon chien Orion et mon chat Yué, eux aussi me donnent plein de courage

    Être endurante. Cette perspective, oui, elle est douloureuse. Quand on a un cancer, on apprend à devenir une guerrière pour aller de l’avant. Et là, mince, j’ai beau sortir toutes les armes, tout ce que je mets en place, il va gagner. J’ai beau me démener, faire en sorte de devenir actrice du lymphœdème, me battre pour qu’il soit le moins conséquent possible, rien n’est gagné. Chaque journée est un nouveau combat. Et ce sera ainsi jusqu’à la fin. Car c’est du long terme. Cette maladie-là, qui ne se guérit pas, est très dure à encaisser. Et elle le sera jusqu’au bout.

    « J’avance. Je n’ai pas le choix.
    Ce n’est pas du courage, c’est de l’instinct de survie. »

    Avoir un cancer à l’âge de 14 ans, à cet âge charnière, a été terrible. 14 ans, j’étais en 3e. Je passais le brevet. On a des copines, des copains. On a une petite vie d’ados. Et boum. Terminée l’adolescence. Il n’y en a plus. Plus le temps de voir les amis, on doit se battre contre la maladie. Et puis je suis revenue sur les bancs de l’école, en seconde, à mi-temps. J’avais cours le matin et tous les après-midi, je partais en ambulance et j’allais faire de la radiothérapie. Tous les jours. Jusqu’à ma première S. Et j’ai réalisé alors qu’il y avait un avant et un après « maladie ». Il y a les copains d’avant et puis il y a ceux qu’on se fait après. On m’a retiré une partie de moi. Je suis revenue différente. Je me suis remise en selle. Au bout de quelques mois, la maladie est devenue invisible aux yeux des autres mais moi j’en portais encore profondément les séquelles. Je me battais en tant que jeune femme pour me construire en tant que femme. Parce que forcément les traitements étaient puissants, forcément, j’ai été impactée au niveau hormonal. Pour avoir des enfants, c’est compliqué aussi. Ma vie a changé. C’est tout ça à avoir en soi, à porter. Et une fois que je me suis dit “bon, je vais y arriver, le deuxième couperet est tombé : le lymphœdème.“ Coup dur. Vraiment. Car rebelote, il va falloir se battre à nouveau. S’armer de patience. Épuisant… Je n’ai pas eu de répit. Moralement, psychologiquement, physiquement, tout a été très dur. Alors j’avance, oui. Ce n’est pas du courage. Juste je n’ai pas le choix, c’est de l’instinct de survie.

    Celia se bat contre le cancer
    45 minutes de sport tous les jours !

    A la maison, j’ai une petite salle de sport avec un vélo elliptique et un vélo d’appartement. J’en fais tous les jours avec un peu de fitness au rythme de 45 minutes par jour. En rentrant du boulot, je fais mes bandages et hop je fais de l’elliptique, du vélo et du renforcement abdominal. J’essaie de m’y astreindre car ça m’aide et physiquement (à drainer mon lymphœdème) et psychologiquement.

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    « Jongler avec ce qui fait sens pour avoir une existence pleine »

    A 15 ans et demi, après ma rémission, je ne voulais plus parler de mon cancer. Jamais je n’aurai pu imaginer qu’un jour je puisse être bénévole et ambassadrice dans des projets tel que 2500 voix (https://2500voix.org/ & REACT4KIDS), une association visant à faire entendre les voix des enfants malades et à faire avancer la recherche. Jamais je n’aurai pu envisager le métier que je fais : technicienne de laboratoire dans un centre de lutte contre le cancer. Le cancer c’est mon quotidien. En anatomo-pathologie, je travaille en collaboration avec le bloc opératoire. Mon travail consiste à prendre en charge les pièces opératoires pouvant être atteintes de cancer. Je prélève des échantillons de tumeur et prépare ces échantillons en vue de leur analyse au microscope faite par l’anatomo-pathologiste. Ces gestes permettent de définir le type de cancer, d’établir un diagnostic et d’orienter au mieux les traitements pour soigner les patients. Ce métier m’anime. Il m’aide à me lever le matin. Ma vie sert à quelque chose. Mon expérience a du sens. J’ai même trouvé un sens à mon lymphœdème en m’impliquant dans l’Association mieux vivre le lymphœdème (AVML) en reprenant la direction de l’antenne en Normandie au côté de Béatrice Moulin Beltrame. Avec du recul, je réalise que j’ai côtoyé le cancer sous toutes ses formes. Côté patiente, côté actrice de l’ombre en tant que technicienne, bénévole et membre du Conseil d’administration chez les Aguerris et l'AVML. Aujourd’hui, je jongle avec mon métier, que je fais à 60 % à cause du lymphœdème, avec les Aguerris, ma responsabilité pour l’AVML Normandie. Et puis il y a ma vie à moi, avec mon mari, très présent, et Orion et Yué, que je chéris. Mon existence a du sens car je donne du temps aux autres et mon métier me nourrit. Ma vie est bien remplie, elle est même par moment énergivore. Lorsque je suis fatiguée, je me dis que ça vaut le coup. Merci à mon mari de l’accepter, merci d’avoir compris que c’est ce qu’il me fallait… « du sens ! ». Il fallait que je sois actrice de quelque chose. Là, je suis actrice et active +++ Finalement, contrairement à ce que j’ai dit plus haut, il y a bel et bien une certaine force en moi… Ça ne s’est pas fait du jour au lendemain, mais voilà, aujourd’hui mon existence est pleine

    Essayer de sensibiliser les familles aux conséquences du cancer à long terme

    Célia a commencé son bénévolat aux Aguerris (Adultes guéris d’un cancer pédiatrique) en 2016-2017. Elle les aide à anticiper sur le « après le cancer, qu’est-ce que je peux faire pour rebondir ? Comment poursuivre mon suivi ? Quelle vie après ? ». Cette association regroupe aujourd’hui 50 000 adultes ayant guéri d’un cancer dans leur enfance ou leur adolescence. 

    Leurs  missions ?
    • Informer sur les avancées des prises en charge des séquelles dues à la maladie et à ses traitements.
    • Intervenir auprès des pouvoirs publics et tout acteur sur les questions relatives aux suivis et aux prises en charge sur le moyen et le long terme.
    • Créer un réseau d’adultes traités pour un cancer dans l’enfance en lien avec d’autres associations en France et en Europe.
    • Aider la recherche sur les conséquences des cancers pédiatriques traités. Plus d’infos sur https://lesaguerris.org/

    Entretien réalisé par Laurence Delaporte - Sept. 2024

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