Engagé dans les activités associatives, Alain Pradel est avant tout un « pair-aidant ».  Il agit sans relâche, au quotidien et depuis des années pour que sa vie de famille ne soit pas limitée par les contraintes liées au lymphœdème primaire bilatéral des membres inférieurs de son épouse Véronique. Rencontre avec un homme de 60 ans qui vient de rejoindre l’organisation européenne Vascern en tant que défenseur des patients français atteints d’un lymphœdème pédiatrique et primaire.

    + ALAIN PRADEL

    Alain est engagé à l’AVML depuis deux ans. Actif, il suit des formations dédiées à l’action de patients et des pairs-aidants. Il a participé à une Master Classe « Patient-Partenaire » organisé par Fava-Multi et par l’Université des patients de la Sorbonne.
    En décembre 2021, Alain a décidé de conjuguer son expérience de pair-aidant et sa connaissance de l’anglais en acceptant la position ePag (représentant des patients) auprès de Vascern groupe PPL (lymphœdème primaire et pédiatrique). 

    Depuis un an, Alain s’occupe de l’antenne Ile-de-France de l’Association vivre mieux le lymphœdème (AVML). Il est également trésorier d’un club de natation chapeautant près de 400 adhérents. En invalidité et à la retraite, Alain est surtout très impliqué dans sa vie de famille.

    « Un pair-aidant pour moi, explique-t-il d’entrée de jeu, c’est quelqu’un qui s’associe à une personne qui souffre d’un handicap, d’une maladie, d’obstacles créés par une maladie qui l’empêchent de vivre normalement. Ma femme Véronique a un lymphœdème primaire bilatéral des membres inférieurs. Mon rôle a toujours été moins médical que psychologique. Aujourd’hui, tous les deux, nous connaissons bien les contraintes et les règles d’autosoins et de surveillance.
    J’aime penser que grâce à moi le quotidien de mon épouse est moins impacté par le lymphœdème, ses contraintes, ses problèmes et ses douleurs. Par exemple, j’organise les activités de telle manière qu’elles puissent être faites ensemble. Je m’occupe aussi des relations avec le reste de la famille, de l’entretien de la maison… Quand on a perdu de son autonomie, lorsque fatigue et douleur sont omniprésentes, alors c’est bien si quelqu’un au sein du couple prend le relais et organise les activités. Faire en sorte que le handicap ne devienne pas un obstacle est important, pour mon épouse, mais aussi pour notre couple et notre famille, témoigne Alain. »

    « Une liberté retrouvée, le goût d’une autonomie sauvée »

    « Pair-aidant ». Depuis quelques années, ce terme prend de l’importance au sein des associations de patients et dans le milieu médical. S’il est relativement récent à l’oreille, ce qu’il recouvre n’en reste pas moins une réalité ancienne.

    « Je le suis depuis bien longtemps, raconte le sexagénaire. Cette relation patient-aidant s’est installée naturellement au fil des années. J’ai structuré toute notre vie autour de la famille et cette notion fait partie intégrante de notre couple. Je ne rencontre aucun problème à gérer nos contraintes, nos difficultés, y compris psychologiques, des deux côtés (j’ai perdu la vue d’un œil). Les poids que nous portons sont lourds. Ils s’appellent lymphœdème, handicaps. Et derrière ces mots, il y a le regard sur soi-même, et le regard des autres qui pèse, très quotidien, rarement tendre face à un lymphœdème.
    Ma femme sait qu’elle ne peut pas pratiquer les activités de tout le monde. Un lymphœdème primaire bilatéral enlève de l’autonomie, surtout lorsqu’on ne suit pas les traitements préconisés. C’est ce qui est arrivé il y a quelques années. Dans les années 2010, mon épouse a eu du mal à gérer son lymphœdème. Elle a lâché prise avec les gestes quotidiens, bandes compressives, autosoins... Elle a perdu beaucoup d’autonomie. Mon épouse se fatiguait vite. Elle avait du mal à marcher. Elle a pris du poids et lorsque nous sortions toute la journée, c’était en fauteuil roulant. A ce moment-là, on ne parlait pas de traitements intensifs ou de programmes d’éducation thérapeutiques. Puis elle a été opérée (Bypass). Et elle a retrouvé une certaine indépendance. L’année qui a suivi, on a décidé de s’offrir un grand voyage aux Etats-Unis. Ce voyage, c’est le symbole d’une autonomie en partie retrouvée. C’est une liberté regagnée. Le lymphœdème aujourd’hui, même s’il a ses contraintes, n’est plus le même obstacle qu’il était avant. On sait que c’est possible. »

    "Pour moi, un pair-aidant c’est quelqu’un qui s’associe à une personne qui souffre d’un handicap, d’une maladie, de difficultés qui l’empêchent de vivre normalement pour lui offrir un soutien.

    + Juillet 2015, Etats-Unis, glacier Mendenhall à Juneau (Alaska). Pour Alain et Véronique, ce voyage est synonyme de liberté, d’autonomie retrouvées

    Juillet 2015, Etats-Unis, glacier Mendenhall à Juneau (Alaska). Pour Alain et Véronique, ce voyage est synonyme de liberté, d’autonomie retrouvées

    Être dans l’action pour se réapproprier sa vie

    Mais la maladie prend de la place. Porter des bas de contention toute la journée est contraignant et douloureux. La fatigue, il faut vivre avec, jour après jour. « Ces dernières années, ma femme a recommencé à subir son lymphœdème. Il y a deux ans, je me suis engagé au sein de l’AVML. Ce n’est pas un hasard, mon engagement coïncidait avec la volonté farouche de soulager mon épouse davantage. J’avais envie que la situation évolue. Qu’elle réalise tout ce qu’il est possible de faire avec son lymphoedème. Qu’elle devienne actrice de sa maladie et non qu’elle la subisse. Mon souhait est qu’elle retrouve un confort de vie qu’elle n’a plus. Mon épouse s’est adaptée à son lymphœdème, alors que je suis persuadé qu’au contraire il faut apprendre à vivre (bien) avec. Pour elle, j’ai mis en branle une démarche de partage. En m’investissant au sein de l’AVML, je voulais qu’elle se sente concernée. Je pense avoir réussi en partie. Mon épouse commence à suivre les réunions que j’organise. Elle regarde les webinars que l’AVML diffuse auprès des patients. Pour aller plus loin dans la démarche active, ce serait formidable qu’elle prenne part, un jour, aux ateliers d’autosoins, qu’elle compare son expérience avec celle d’autres patients », conclut Alain.

    Voir plus loin : porter la voix des patients français au-delà de nos frontières

    « Je viens de m’engager comme ePAG au sein de Vascern, un des réseaux européens de référence (ERN) pour les maladies vasculaires rares. Je représente les patients français à côté des autres pays. En coordination avec des cliniciens, des groupes de travail préparent des supports qui apportent de l’information aux patients. Cette information se veut concrète, pratique et conforme à la connaissance médicale des professionnels de santé. Nous communiquons sur des notions simples et dans différents domaines du « Faire - Ne pas faire ». Pour les lymphœdèmes, des fiches traitent de grossesses, des enfants, d’entretien de sa peau etc. et des vidéos sont réalisées mettant en avant la prise de paroles de patients.


    Nous devons partager les contraintes, les expériences, le quotidien des patients parce qu’on ne soigne pas, on ne vit pas et on n’est pas pris en charge de la même manière dans tous les pays. En Europe, le problème reste très inégalitaire y compris dans le diagnostic. Lorsqu’une action de lobbying ou une action auprès des pouvoirs publics au niveau européen ou mondial est lancée, tous les aspects des maladies rares devraient être exprimés, consolidés et équilibrés pour que tout le monde trouve un soutien en retour, martèle Alain.»

    Témoignage

    Véronique a été diagnostiquée il y quinze ans. La peine est tombée : lymphoedème primaire bilatéral des membres inférieurs. Pour autant, elle n’a jamais cessé de travailler même lorsqu’elle allait mal.

    « Dès le début, avant même qu’on sache ce que j’avais, mon mari m’a aidée raconte-t-elle. Quels que soient l’ennui ou la douleur, il était là, présent. Et il lui a fallu du courage quand je me suis retrouvée en fauteuil roulant pendant une dizaine d’années. Je ne pouvais pas faire de sport et j’ai pris beaucoup de poids. Ça a été une période très difficile. Puis j’ai rencontré un médecin à l’hôpital de la Salpêtrière (Paris). Il m’a proposé de m’opérer (Bypass). Aujourd’hui, je pèse 70 kilos de moins et je vais mieux. L’engagement de mon époux au sein de l’AVML change beaucoup de choses. Nous sommes désormais au cœur de l’information. Et au courant des avancées de la recherche de cette maladie rare. Nous sommes également au courant des nouveaux produits qui fonctionnent. Par exemple, ma peau souffre terriblement. Mes jambes sont enfermées dans des bas de contention jour et nuit, sans possibilité de s’en passer. A une époque, ma peau ressemblait à une peau de serpent. Toute craquelée. Grâce aux conseils des professionnels qui gravitent autour d’Alain, j’ai commencé à utiliser des laits adaptés et ma peau va mieux.

    + Véronique & Alain Pradel
    + Véronique & Alain Pradel

    Libération de paroles

    "Enfin, grâce à mon mari et à l’association, j’arrive aujourd’hui à exprimer ce que je ressens sans être jugée. Je peux partager avec d’autres mes souffrances physiques. Car, oui, les tendons et les muscles, poussés, comprimés par le lymphœdème, provoquent des douleurs. Et cette libération de paroles est importante car sur ce point-là notamment je n’étais pas entendue par les médecins que j’ai rencontrés. Aujourd’hui, il m’arrive de soutenir mon époux lorsqu’il est, lui aussi, fatigué. Avant mon opération, j’ai commencé à faire de l’aquabike et de l’aquagym. J’y vais deux fois par semaine et pour éviter les crampes j’espace les séances. Ces activités sont importantes car elles maintiennent mes articulations en bonne santé. Mon mari et moi sommes inséparables. Il m’accompagne même à l’aquagym sourit-elle. "

    Propos recueillis par Laurence Toulet Delaporte

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