Thésée en 2015, spécialisée en médecine vasculaire depuis 2019, le Docteur Caroline Fourgeaud, 36 ans, travaille au Centre de référence des maladies vasculaires rares de l’Hôpital Cognacq-Jay (Paris). Au moins 50 % des patient(e)s qu’elle reçoit en consultation ont eu un cancer du sein et développé ensuite un lymphoedème. Selon elle, la recherche est essentielle pour diminuer les cas de lymphoedème post-cancer. Interview.
Quelle est votre patientèle à l’hôpital ?
Les patientes ayant eu un cancer du sein et développé par la suite un lymphoedème constitue la majorité de ma patientèle. Et contrairement à une idée reçue, je reçois également des hommes ayant eu un cancer du sein, j’en suis actuellement quatre d’entre eux. Cela s’explique de par la fréquence (le lymphoedème secondaire post-cancer du sein est plus fréquent qu’un lymphoedème primaire) et la pathologie du cancer du sein, assez courante également. Ici, je reçois des patientes qui ont des histoires de vie difficiles et souvent douloureuses. A tous les âges, ce sont de belles leçons de vie et de superbes rencontres.
On a identifié un certain nombre de facteurs qui accroit les risques de développer un lymphoedème : le curage ganglionnaire, la radiothérapie, l’obésité, la mastectomie, l’envahissement des ganglions axillaires.
Comment diminuer le risque de développer un lymphoedème après avoir eu un cancer du sein ?
Avec la technique du ganglion sentinelle, on a diminué le risque de développer un lymphoedème secondaire. Elle consiste à identifier les ganglions qui sont sentinelles - le ou les premiers relais axillaire lié à la tumeur - et s’il(s) n'est (ne sont) pas envahi(s) de cellule cancéreuse, alors les autres ne le sont pas. Il est donc inutile de tous les enlever. En gros, on vous dit « c’est malade, ce n’est pas malade ». Si les ganglions sont atteints, il faut faire un curage beaucoup plus large. Mais si ces ganglions-là sont sains, alors on n’enlève pas les autres. Et là, on diminue le risque de lymphoedème à moins de 10 %. C’est la recherche qui a permis cette avancée.
Autre précaution à prendre c’est de faire attention à ne pas négliger une plaie sur le bras qui pourrait conduire à un érysipèle. Mieux vaut bien se désinfecter, le plus simple avec de l’eau et du savon. Il faut aussi bouger, continuer à avoir une activité physique et contrôler son poids.
Doit-on commencer la kiné tout de suite après l’opération ?
Autre idée à prendre avec beaucoup de précaution est celle qui consiste à dire qu’une femme qui se ferait des drainages lymphatiques très vite après l’opération verrait diminuer le risque de développer un lymphoedème. La vérité est qu’aujourd’hui ce n’est pas vrai, nous n’en n’avons la preuve. Les drainages lymphatiques ne préviennent pas le risque de lymphoedème. Il est important d’accompagner les patientes avant et après les traitements (chirurgie, chimio, radiothérapie etc.). La kiné est notamment nécessaire pour masser la cicatrice qui adhère parfois beaucoup et rééduquer les épaules. Le massage permet d’assouplir la cicatrice et évite qu’elle ne forme une bride qui induirait une gène au fonctionnement d’épaule (le bras et l’épaule ont du mal à bouger librement). Parfois, je reçois des patientes qui se retrouvent avec des brides axillaires importantes, elles ne peuvent même plus lever le bras. C’est handicapant et douloureux. Là, je me dis que l’accompagnement n’est pas encore complètement adapté… Alors, oui, rééducation. Mais cela n’évitera peut-être pas d’avoir un lymphoedème. En revanche, la reprise d’autonomie, la diminution des séquelles physiques et psychiques pour les patientes seront d’autant plus importantes.
Où en est la recherche ?
Des équipes de généticiens ont trouvé des gènes de susceptibilité de développer des lymphoedèmes chez les femmes qui ont des lymphoedèmes secondaires post-cancer du sein. Cela signifie qu’il y a certes les interventions (l’acquis) mais il y a aussi ce qui est constitutionnel (la génétique). On pourrait imaginer à l’avenir de développer des techniques qui nous permettraient de dépister en amont les femmes à risque de lymphoedème. Dans un premier temps, l’idée serait d’identifier ces personnes « à risque » et de les informer de ce risque.
Quel est l’enjeu ?
Que les lymphoedèmes post-cancer du sein disparaissent peu à peu grâce notamment aux techniques de ganglion sentinelle, au modification des protocoles de radiothérapie et aussi aux techniques de détections précoces du lymphoedème. On va en avoir de moins en moins je pense. Les outils de radiothérapie se sont également nettement améliorés ces dernières années. Dans les années 80, les femmes avaient des séquelles importantes, de lymphoedème mais également osseuses, vasculaires, neurologiques…
J’ai de la chance de travailler dans l’Unité de Lymphologie du Centre de référence de Cognacq-Jay à Paris. J’ai l’impression de faire quelque chose d’utile. Et j’aime travailler dans un domaine mal connu : on découvre sans cesse. Il y a beaucoup de choses qu’on ne connait pas, mais au lieu de générer de la frustration, ça génère de l’envie et de la curiosité. Un chef de médecine interne m’a dit un jour : « Tu sais Caroline, tu ne peux pas tout comprendre d’un coup. Il faut que tu sois patiente. » Pour le lymphoedème, c’est un peu ça aussi. Il faut être patient, à l’écoute. Il y a un bel avenir pour la réduction des lymphoedèmes mais aussi un bel avenir avec les travaux de recherche qui sont en cours. Les deux sont liés.
L’hôpital Cognacq-Jay appartient à la Fondation du même nom. Elle a plusieurs établissements répartis sur tout le territoire. Depuis le 1er janvier 2020, la Fondation Saint-Jean-de-Dieu et la Fondation Cognacq-Jay sont unies pour renforcer leurs filières de soins en cancérologie. Ce partenariat permet à notre service de donner des expertises, proposer des partenariats de recherche et à la clinique Saint-Jean-de-Dieu de continuer leurs activités cliniques particulièrement renommées comme la prise en charge du cancer du sein.
Autre établissement, l’Atelier Cognacq-Jay, un lieu dédié au mieux-être des personnes touchées par le cancer, pour qu’elles reprennent la main sur leur vie et sur leur santé.
Ici, du coup, on est sensibilisés au cancer du sein et à l’après.